Dans le cadre des Conférences de Saint-Leu, les « Amis de la Bibliothèque Albert Cohen » ont reçu le 7 février 2009 Robert Bigot, auteur de romans historiques destinés aux adolescents, venu parler de son expérience d’écrivain.
Son activité d’auteur se résume en une formule dont il a fait sa devise : « L’Histoire émue ». Elle traduit bien la vocation que Robert Bigot cultive depuis toujours, « cette petite flamme » qui le conduit des étapes de son histoire personnelle vers l’appréhension des événements de la grande Histoire. « En 1975, la naissance de la Charte des auteurs et illustrateurs de jeunesse coïncida avec la parution de mon premier roman pour adolescents « Les lumières du matin ». La Commune de Paris de 1871 m’offrit le cadre et le thème de ce récit : c’est assez dire que, dès l’abord, j’avais choisi l’histoire comme fil conducteur… Pourquoi ce choix de l’histoire, qu’on peut juger didactique, voire austère ? Sans doute, sans aucun doute, parce que deux guerres m’ont marqué, à des degrés différents mais l’une et l’autre pour toujours, et que j’eus à coeur, en choisissant la voie écrite, de dénoncer la sauvage absurdité de tout conflit armé. C’était un combat d’arrière-garde. Aussi, cet objectif se doubla-t-il très vite de la nécessité de rappeler aux adolescents que l’histoire ne commence pas à leur naissance - je ne plaisante pas, il suffit d’observer, chez la plupart d’entre eux, l’attristante méconnaissance de repères historiques. D’où ce besoin de tenter de les convaincre que leurs aînés méritent absolument qu’on se penche sur leurs vies, leurs espoirs, leurs luttes, leurs souffrances ; car, si on leur doit beaucoup, on les oublie souvent, et l’immense moisson de leurs expériences, avec eux. »(…) Je dis souvent aux adolescents - avec qui j’échange fréquemment - qu’ils ont finalement de la chance d’être arrivés jusqu’à nos jours si l’on tient compte de l’incroyable somme de guerres impitoyables, d’invasions massacrantes, d’épidémies foudroyantes, d’accidents mortels, de carnages de toutes sortes, de banditisme organisé et de justice expéditive et aveugle, dont l’histoire est émaillée et qui ont décimé nos aînés. Exister aujourd’hui, être ainsi passé, au fil de l’histoire, entre les mailles des terribles filets de la Camarde, représente une chance singulière qu’on ne peut considérer qu’avec un frémissement rétrospectif… Chacun d’entre nous témoigne, par sa présence, d’une suite quasi miraculeuse de hasards chanceux, alors que tant de généalogies ont été stoppées net dans leur progression par les innombrables chausse-trapes du destin.
Et cette dette jamais remboursable dont nos aînés sont les créanciers, j’en sens le poids avec une émotion toujours aussi vive, au fil de mes découvertes historiques ou généalogiques. Ces petites gens, ces gens-là innombrables dont on ne parle guère, pourquoi ne pas tenter
de les faire revivre, eux qui n’ont souvent qu’un nom à nous offrir en relais de leur mémoire ? Leur histoire émouvante est celle que je voudrais transmettre aux jeunes générations, à ces adolescents à qui l’on apprend très tôt à ne se préoccuper que de l’instant, à ne plus croire
qu’au pouvoir de l’argent, à négliger d’être, au profit de paraître… » Ainsi, dans « Le coeur à la renverse » Taverny sert de cadre, dans les années qui précédèrent la Révolution, à une description des conditions de vie d’une famille de paysans vignerons, les Clarisse. Colin, 16 ans, aide son père dans les travaux de la ferme. Il aime beaucoup Toinette, qu'il connaît depuis toujours, et ses sentiments mûrissent lentement. Aussi se trouve-t-il ‘désarçonné’ par l'apparition de Fleur, dans le logis des Delbos. Parallèlement à l'organisation des communes puis à la constitution des États Généraux, les sentiments de Colin vont évoluer, traversant les drames et les faux-pas, pour aboutir enfin à l’amour. Inspiré de faits réels, l’ouvrage fait revivre au lecteur l’anecdote du 'chemin confisqué’ par le seigneur ‘Droin’ qui obligea les agriculteurs à de multiples contournements et dont les cahiers de doléances reflètent
bien le mécontentement. Dans la dizaine de romans qu’il a écrits, Robert Bigot s’est toujours trouvé confronté à l’ambigüité du genre. En effet, le roman historique doit concilier deux écritures, celle du romancier avec celle de l’historien, à savoir ne rien affirmer qui ne puisse être prouvé tout en donnant corps à la vie des personnages pour les rendre attachants au lecteur. « Lorsqu’on écrit, pour tenter d’être aussi crédible que possible, il n’est pas inutile, bien au contraire, de multiplier les détails qui donnent au récit un caractère d’authenticité… Aragon résumait l’acte d’écrire en disant : « Écrire, c’est mentir vrai. » "Mentir vrai", c’est-à-dire raconter une fiction, donc un mensonge, mais un mensonge vrai, c’est-à-dire en multipliant tous ces détails qui font que ce qu’on raconte paraît absolument authentique, parce que si ce n’était pas authentique on ne se serait pas donné la peine de donner des détails aussi précis. C’est une ficelle du métier comme on dit. » [Extrait d’une Interview radiophonique de Robert Bigot par le collège Jean Moulin de Revin (Ardennes) Juin 2005] |
Bibliographie
– Les lumières du matin. Prix Jean Macé 1974 (Ligue française de l'enseignement) Hachette 1975, 1978, 1990, Actes Sud Junior 2000, 2004 - Traduit en polonais, italien, chinois. Actes Sud Junior 2000
La Commune de Paris vécue par un adolescent. Ce roman a été repris par Actes Sud Junior en mars 2000 pour ouvrir sa nouvelle collection “Les couleurs de l'Histoire”.
– Dans les jardins d'mon père. (“Les couleurs d'un siècle” ou “La saga”) Hachette - 1990, Actes Sud Junior 2000, “Les couleurs de l'histoire” - Traduit en braille.
Pascal, l'adolescent des “Lumières du matin“, est grand-père sous le Front populaire ; Jean, son petit-fils, romantique et idéaliste, part à la recherche d'un père dont on lui a tout caché. Dans sa quête, il va croiser Léon Blum, Marx Dormoy…
– Une si petite flamme. Syros jeunesse 1995, 1999 - Gulf Stream 2007.
Hélèna Kolbe a 18 ans lorsqu'elle entreprend de retrouver ses parents (juifs allemands) arrêtés en 1942 dans le hameau du Jura où la famille s'était réfugiée. Construit sur le thème de la délation, ce roman cryptobiographique est une quête douloureuse, un roman pour que l'on n'oublie pas.
– La double vie de Chloris Locuste Traduit en italien (Motta Junior) Actes Sud Junior 2000 Collection “Les petits polars”
Ce roman ‘bucolico-fantastico-historique’ prend un tour volontiers humoristique. L'action nous conduit dans un château de Touraine à la recherche d'une hypothétique “Dame grise”.
– Camille Clarisse, Actes Sud Junior 2000, 2001, 2004 “Raisons d'enfance”. Traduit en braille, chinois Une adolescente de 16 ans est dans le coma après un accident de scooter incompréhensible. Réel accident ? Tentative de suicide ? Son entourage témoigne, cherche à comprendre, dessine son portrait.
– Sous le calme du djebel… Actes Sud Junior 2003, “Les couleurs de l'Histoire” 2004, édition Les
Incorruptibles (sélection des classes de 4°/3° du prix des Incorruptibles. Hélèna Kolbe, l'héroïne de “Une si petite flamme”, étudiante en sociologie, part rédiger sa thèse en Algérie, dans l'Aurès, en septembre 1954, sous la direction de Germaine Tillon. Elle vivra, au plus près, les premiers moments de l'insurrection et les débuts de l'impitoyable guerre d'Algérie.
–Le mal en patience. (coécrit avec Christian Grenier), Syros jeunesse - 2005, 2006 “Les uns les autres” - 2009, Gulf Stream (en partenariat avec Pharmaciens sans frontières)
Roman épistolaire. Deux jeunes gens échangent des lettres : Patrick Faure, passionné et généreux, membre actif d'une équipe de “Pharmaciens sans frontières” dans Sarajevo assiégée, et Romain Clarisse, professeur de musique en Touraine, rêveur et délicat, qu'une grave intervention chirurgicale va conduire à rejoindre son ami sur place, en pleine guerre de Bosnie. Un réquisitoire contre tous les conflits armés.
– Jules Vallès, Syros jeunesse – 2007
Recueil de vingt courtes nouvelles construites autour de la vie intime ou cachée des élèves et des professeurs d'une classe de 4ème, dans un collège Jules Vallès géographiquement insituable et pourtant bien réel…
– Le coeur à la renverse. Le Seuil jeunesse - 2008,
La vie sentimentale déchirée de Colin, seize ans, entre Toinette, la fille de ses voisins, et Fleur, trop jolie fille d'un notable. La famille Clarisse, auprès de tant d'autres, lutte contre la noblesse arrogante, forte de ses privilèges, et survit dans le milieu vigneron de la région parisienne (à Taverny), à l'aube de la Révolution française.
– Comme une fleur coupée…. (coécrit avec Françoise Grard) Gulf Stream - 2008, Sophie Clarisse découvre, à 18 ans, qu'elle est une enfant adoptée. L'enquête qu'elle mène secrètement sur ses origines, aidée de son frère Benjamin, les conduira d'Autriche en Hongrie, à travers le passé mouvementée de leur mère Birgit, jusqu'à la révélation de cette filiation longtemps cachée.
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