L’actualité internationale, marquée
par le chaos irakien, nous incite malheureusement à
relire cette œuvre hors du commun. Recueil anonyme
écrit par ajouts successifs entre le Xe et le XIVe
siècle, Les Mille et une nuits rassemblent des contes
arabes d'origine persane. Traduits en français en
1704 par Antoine Galland puis Mardrus au XIXème siècle,
ils connaissent un succès considérable.
Fables, histoires d'amour ou contes merveilleux, ces récits
contiennent des éléments d'origine indienne,
chinoise, persane, turque ou encore égyptienne. Certains
de leurs personnages sont devenus célèbres
tels Aladin et sa lampe merveilleuse, Ali Baba et ses 40
voleurs ou Sindbad le Marin. Signalons que la Compagnie
EclaThéâtre propose, chaque année, au
Théâtre du Gymnase, une adaptation scénique
fort réussie d’une sélection de ces
contes. Loin d’être destinées aux enfants,
ces histoires de voleurs et de génies, ces récits
de voyage souvent facétieux et sensuels mettent en
scène toutes les surprises de la vie. Au lecteur
d’en tirer des leçons de mesure et de sagesse.
A la différence des romans de chevalerie occidentaux,
Les Mille et une nuits s’intéressent aux gens
du peuple autant qu’aux puissants, avec lesquels chacun
peut dialoguer et en tirer un bénéfice mutuel.
Leçon de philosophie et de bonne gouvernance. Mais
aussi leçons de géographie humaine. Les grandes
métropoles arabes constituent des points de passage
décrits avec mille et un détails colorés
et parfumés. Souks, hammam, soieries et bijoux éblouissent
autant le lecteur que les personnages. Avec Le Caire et
Damas, Bagdad est l’une de ces cités majestueuses.
La capitale irakienne sert par exemple de cadre à
L’histoire du Dormeur Éveillé. Devenu
pour une journée calife à la place et par
la volonté du calife lui-même, un simple marchand
découvre la complexité et les plaisirs d’une
civilisation à son apogée. Danses, spectacles,
intrigues, querelles d’écoles islamiques, encyclopédies
luxueuses, astronomie savante l’étourdissent
avant qu’il ne retrouve trop vite sa vie quotidienne.
Mieux vaut se résigner à l’ordre social
plutôt que songer à le remettre en question.
Sagesse orientale…
Souvenons-nous surtout de la conteuse ! Mari trompé,
le sultan de Samarcande se venge en passant chaque nuit
avec une nouvelle femme et lui fait couper la tête
au matin. Schéhérazade est la fille aînée
du grand vizir. Belle et cultivée, elle a lu les
livres anciens, les légendes, l’histoire des
peuples. Elle raconte une histoire après l’autre
pour se rendre indispensable au tyran. Mille et une nuits
plus tard, le sultan devenu civilisé épargne
la princesse.
Bien malin également ce pêcheur qui réussit
à faire rentrer dans son vase le génie destructeur
qu’il avait imprudemment libéré. Despote
récemment déchu, Saddam s’était
fait construire des palais dignes des Mille et une nuits.
Peut-être est-il lui aussi enfermé dans un
récipient. Un fût d’armes chimiques sans
doute…
Longtemps considérée, avec Constantinople,
comme les deux yeux du monde, Bagdad a vu récemment
sa grande bibliothèque et son musée national
ravagés et entièrement pillés. C’est
l’histoire du monde entier et sa mémoire que
l’on a saccagées. Alors, reprenons en chœur,
en l’adaptant un peu, cette formule venue d’Europe
de l’Est au temps du rideau de fer : Au secours !
Schéhérazade, reviens ! Ils sont devenus fous
! Qui raconterait aujourd’hui des histoires aux puissants
de la planète pour les apaiser ?
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DidierDELATTRE |
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