Vacances Avignonnaises ?
En se promenant dans les ruelles d'Avignon, quelle que soit la saison, on est forcément impressionné par la richesse patrimoniale de la cité papale. C'est bien sûr le majestueux Palais des papes qui dresse son architecture militaire au-dessus du Rhône, mais aussi les nombreuses « livrées » , nom que l'on donne aux imposants « hôtels particuliers » des cardinaux. Afin de les bâtir, de nombreux habitants furent expulsés de la ville et leurs demeures rasées ; il fallait faire place nette pour la noblesse d'église. Ces édifices dominent les immeubles étroits qui souvent les entourent. On peut aussi admirer les églises et chapelles dont les styles, du gothique au baroque, rappellent qu'Avignon, du Moyen Age à la Révolution, resta une terre de religion, dépendant du pape, même après que celui-ci eut quitté les rives du Rhône pour retrouver celles du Tibre.
Et puis, l'oeil s'élevant pour flâner au-dessus des vitrines des magasins, rencontrera sans doute une niche abritant une Vierge ou un St-Jean Baptiste, statuettes qui ornent encore bon nombre d'immeubles.
En se promenant dans les ruelles d'Avignon, les trois dernières semaines de juillet, on est forcément frappé par toutes les affiches qui tapissent murs et barrières, grimpent aux lampadaires comme du lierre et courent le long des rues, annonçant les spectacles du festival OFF.
C'est en septembre 1947 que quelques personnes, dont René Char et Jean Vilar, décidèrent d'organiser une semaine d'Art et de Culture à Avignon. Différentes formes artistiques, peinture, littérature, danse et théâtre, devaient s'y côtoyer.
La présence de comédiens majeurs, comme Gérard Philippe alors au faîte de sa popularité, y affirma la prédominance du théâtre, et durant une vingtaine d'années, Jean Vilar en fut l'infatigable promoteur.
Aux spectateurs, qui furent près de sept cent mille en 2007, le festival offrait une profusion de spectacles entre le « IN », officiel, et le « OFF», qui regroupe petites troupes, one man shows et autres divertissements. Au total, plus de neuf cents spectacles dispersés dans une multitude de lieux, des plus prestigieux comme la Cour d'honneur du Palais des papes, en passant par de classiques salles de théâtre, aux cours d'écoles, salles de classe ou même garages.
Pour aider le festivalier qui ne sait plus où donner des yeux ni des oreilles, les organisateurs du OFF publient un guide, véritable catalogue de quelque deux cent soixante-dix pages.
La variété des oeuvres jouées est telle que chacun peut y trouver son miel, jeune public, clowns, marionnettes, classiques du répertoire, oeuvres contemporaines et créations, danse, depuis le milieu de la matinée jusqu'au milieu de la nuit.
Le soir, une foule de badauds envahit la Place de l'Horloge. On y parle toutes les langues de l'Europe, mais également japonais ou coréen, dans des attroupements de curieux qui admirent les évolutions de jongleurs, d'acrobates, ou écoutent musiciens et comédiens des rues. En s'installant sur le parvis du Palais, une fois la nuit tombée, dans le brouhaha des groupes se déplaçant d'un spectacle à l'autre, on s'imagine volontiers revenu dans un siècle lointain, lorsque les troupes itinérantes installaient leurs tréteaux pour y jouer mystères ou fabliaux.
L'on se dit alors qu'on est vraiment bien à Avignon, en cette mi-juillet, quand ailleurs ce ne sont que nuages et averses.
Et là j'en entends qui s'insurgent. « Quoi ! Comment ! Mais que dit-il ! A Avignon, quelle horreur !
On ne dit pas à Avignon mais en Avignon ! » A quoi l'on rajoutera en Arles et en Haïti. Il n'est pas rare non plus d'entendre, à la télévision ou à la radio, que telle cérémonie se tiendra en la cathédrale, en la basilique ... Ces emplois sont si fréquents qu'on peut se demander comment ils sont justifiés.
Selon certains, dire « en Avignon » éviterait le hiatus, c'est-à-dire la succession de deux lettres produisant le même son, ici les deux « a » de « à Avignon ». Cela paraît sensé. En Avignon sonnerait mieux qu'à Avignon, en Arles mieux qu'à Arles...Mais alors pourquoi se limiter à ces quelques exemples ? Comment se fait-il que le hiatus ne nous dérange pas lorsque nous allons à Athènes, que nous passons le week-end à Amiens ou quelques jours à Alger ? Ne faudrait-il pas, pour le grand soulagement des oreilles sensibles, aller en Alençon et en Abbeville, canoter en Amsterdam et prendre le RER pour aller en Asnières-sur-Seine, en Achères ou en Aulnay-sous-bois ?
Quant aux édifices religieux, point de hiatus lorsque nous nous rendons à la basilique ou à la cathédrale.
Cette justification n'étant pas vraiment satisfaisante, d'autres expliquent que dire « en Avignon » rappelle la prononciation en langue provençale. Soit, mais pourquoi ne pas traiter de la même manière les autres villes de cette région et ainsi aller en Orange et en Marseille ? Et tant qu'à faire, pourquoi ne pas étendre cet usage aux autres langues régionales ; nous irions par exemple en Strasbourg.
D'autres, enfin, invoquent l'histoire et nous rappellent à juste titre que durant plusieurs siècles, Avignon appartint aux papes. Après leur retour à Rome, Avignon resta, jusqu'à la Révolution, une enclave des états pontificaux en France. La ville devait donc être considérée comme un pays étranger ; comme on allait en Italie, on allait en Avignon. Mais si l'on fait référence au fait qu'Avignon était un Etat particulier, il faudrait alors parler de « L'Avignon » comme on dit le Portugal, la Russie ou l'Italie ; a-t-on jamais entendu cela ? De plus, Avignon n'était pas seule dans ce cas, mais tout le Comtat-Venaissin était alors propriété du pape avec Carpentras ou Orange. Il conviendrait de ce fait de parer du noble « en » toutes les villes de cette région, ce que nul à ce jour n'a encore proposé.
A la fin de ce petit tour d'horizon, nous voyons qu'aucune justification ne parvient à imposer de manière incontestable « en Avignon » ; alors quelle position adopter, que doit-on dire ?
La construction « en ... » s'est imposée dans les médias et de nombreuses personnes paraissent le considérer désormais comme le « bien parler ». Ce tour sophistiqué, pour ne pas dire précieux est reconnu par l'Académie dans l'article « en », toutefois précédé des mentions « littéraire ou régionalisme », ce dernier terme renvoyant aux critiques évoquées précédemment. La préposition « en » n'apporte rien de plus que le traditionnel « à ».
Faut-il alors privilégier « à Avignon » ? C'est à chacun au final de faire son choix, car comme plus souvent qu'on ne se l'imagine en matière de langue, il ne saurait y avoir ici ni prescription ni proscription définitive, et c'est un vieil ami qui se chargera probablement de faire le tri... l'usage !
Olivier HAENEL
|