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Rencontre avec Gisèle Pineau, écrivain Guadeloupéen |
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Rencontrer
un écrivain est toujours un moment
inoubliable. Dans le cadre du mois consacré
par la bibliothèque à la littérature
des Caraïbes, Gisèle Pineau est
venue dialoguer avec ses lecteurs ce vendredi
9 octobre, à la Salle Claire-Fontaine.
Subtilement sollicitée par Olivier
XXX, elle a retracé les lignes fondatrices
de sa vie de femme et d’auteur dans
une langue précise et chaleureuse.
Nous reproduisons pour vous l’essentiel
de ses propos.
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Pour
en savoir plus sur Gisèle Pineau |
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D’ABORD LES MOTS |
Les mots ont toujours été là.
Mon père achetait des livres, des encyclopédies.
J’étais curieuse, transportée
par les mots, véritables cavernes d’Ali
Baba. Les mots m’ont consolée très
jeune. J’inventais des histoires pour mes poupées
avec les mots pris dans les livres. Puis, j’écrivais
ces histoires dans un petit cahier pendant que mes
frères jouaient aux cow-boys.
J’étais une enfant blessée, sensible.
Née à Paris, je vivais dans la banlieue.
Les seuls noirs que je connaissais étaient
les membres de ma famille. Je me suis construite mot
à mot. J’inventais des royaumes, je tuais
les méchants, ceux qui se moquaient de la couleur
de ma peau noire. Depuis l’âge de sept
ans, je n’ai cessé d’écrire.
Je suis sensuelle, pas du tout un écrivain
cérébral. J’entends battre le
cœur de mes personnages. Je me perds dans les
forêts profondes de mes histoires. Comme dans
la vie, à chaque détour des chemins,
il y a des imprévus, des rencontres qui changent
tout. J’ai besoin d’allier le réel
et l’imaginaire.
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L’APPÉTIT
DE L’ÊTRE HUMAIN |
Depuis vingt ans, mon métier d’infirmière
psychiatrique me met en contact avec des malades qui
vivent avec des esprits, des obsessions. Je suis curieuse
de leurs histoires. Si j’arrêtais ce métier,
je serais peut-être submergée par mes
propres fantômes. J’ai l’appétit
de l’être humain. Après mon bac,
je voulais être professeur de français.
Mais la linguistique était particulièrement
rébarbative. Sur le conseil d’un ami,
je me suis présentée à l’entretien
oral pour le recrutement d’infirmière
psychiatrique. J’ai simplement expliqué
que j’aimais les gens et j’ai été
admise…
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JE
NE PEUX PAS VIVRE SANS ÉCRIRE |
Il y a quelques années, j’avais annoncé
que j’allais cesser d’écrire. J’étais
uniquement dans les mots, plus dans le réel.
Je me suis lancée dans un jardinage intensif,
auquel j’ai consacré trois mois entiers.
Mais, petit à petit, mes personnages intérieurs
sont revenus. Je me sentais vide. J’ai réalisé
que je ne pouvais vivre sans écrire. Quand
je n’écris pas, ma journée est
gâchée. Des personnages tentent de s’imposer
à moi. Je les laisse grandir. Quelques-uns
s’étiolent au bout de quelques pages.
Alors, je les supprime. Je reviens en arrière
et je les supprime. Les véritables héros
de mes romans sont les femmes. C’est par leur
corps qu’est passé tout le métissage
qui a tissé toutes les cultures qui se sont
retrouvées aux Caraïbes. Chez nous, on
appelle parfois les femmes « le poteau mitant
», c’est-à-dire, le pilier essentiel
de la case. C’est elles aussi qui véhiculent
les histoires. Pendant que mes frères allaient
jouer avec des enfants de notre âge, j’allais
écouter les récits de ma grand-mère.
J’essaie bien de donner de la profondeur à
mes personnages masculins mais je n’y arrive
pas vraiment et je le regrette.
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DE
LA NOUVELLE AU ROMAN |
Ecrire, c’est parfois un accouchement qui n’en
finit pas. Mon premier roman faisait quatre cents
pages. Maryse Condé m’a conseillé
d’en faire deux ! A la même période,
j’ai participé à un concours de
nouvelles en Guadeloupe. J’ai gagné le
premier prix et mon texte est paru dans un recueil.
Il m’a fallu un an pour écrire La grande
drive des esprits. Dix éditeurs l’ont
refusé. On m’a demandé une nouvelle
pour un recueil auquel participaient aussi de grands
noms de la littérature des Caraïbes. J’ai
envoyé un chapitre de la « Drive ».
Le roman a enfin été publié et
a remporté le Grand Prix de Elle.
Je suis une révoltée, consciente de
mon impuissance. Je suis toujours dans la même
veine d’écriture : l’esclavage,
les ravages de la nature, les femmes. Les écrivains
se demandent toujours s’ils écrivent
le passé ou le futur. Parfois, ce qu’ils
inventent de pire finit par leur arriver à
eux-mêmes ou à leur peuple. Il faudrait
arrêter d’écrire des romans sur
les cyclones et toutes les catastrophes naturelles…
Mes livres sont des gouttes d’eau dans l’océan
du monde. J’espère toujours atténuer
la violence que les humains portent en eux. C’est
pourquoi j’écris aussi pour la jeunesse.
Dans mes livres, l’espoir surgit toujours, même
si c’est à la 350ème page ! C’est
sans doute ma grand-mère qui m’a appris
que le rire vient après les larmes. Elle aussi
qui m’a fait découvrir la langue créole.
Mon père l’avait fait venir chez nous,
en banlieue parisienne, pour la soustraire à
son mari violent. Chaque soir, elle priait à
haute voix pour rentrer dans son pays. Je voulais
partir avec elle, moi aussi.
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L’EXIL
PAR PROCURATION |
Mon père était un gaulliste convaincu.
Il aimait le sauveur de la patrie. En 1970, après
l’échec du référendum sur
la régionalisation et le départ du Général,
mon père n’a plus voulu rester en métropole.
C’est ainsi qu’à l’âge
de quatorze ans, nous sommes partis vivre en Martinique.
J’étais heureuse de me retrouver dans
un pays de noirs. J’avais l’accent parisien
et je m’efforçais de prendre celui des
Antilles. J’avais l’impression d’avoir
vécu l’exil par procuration, comme si
mes parents m’avaient volé une partie
de mon enfance. Le problème de l’identité,
je l’ai réglé grâce à
l’écriture.
Toute la poésie créole est tapie en
moi. Dans mes romans, on trouve souvent des recettes
créoles. Dans les langues, comme dans les cuisines,
les saveurs et les essences se mêlent. Chez
nous, c’est dans les cuisines que l’on
entend les secrets de famille. Toutes ces histoires
me passionnaient. Dans les cuisines, les femmes gémissent,
se plaignent de leur sort mais elles ne partent pas.
Le pays et la langue sont dans la cuisine. La musique
m’aide également à écrire.
A une période, j’écoutais sans
discontinuer Bob Marley. En ce moment, c’est
plutôt Johnny Lee Hooker. Mes proches ne le
supportent plus…
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LA
QUÊTE DES ORIGINES |
Je porte la Guadeloupe en moi. Je me revendique des
esclaves qui travaillaient dans les champs de canne
à sucre. Mon nom de Pineau vient d’un
propriétaire blanc originaire de La Rochelle,
en Charente Maritime. Il a épousé l’une
de ses esclaves, qui lui a donné huit enfants
et qu’il a affranchie. Je n’ai pas honte
de cette histoire ! Je ne cherche pas à m’inventer
des ancêtres prestigieux, contrairement à
bon nombre d’Antillais qui prétendent
descendre de rois africains ! C’est peut-être
parce que, en 1848, après la suppression définitive
de l’esclavage, on a donné un nom et
une identité à la va-vite à tous
les noirs. Mais je ne comprends pas que beaucoup d’entre
eux se jugent supérieurs aux Haïtiens
qu’ils méprisent. Il y a un proverbe
qui dit « fagoté comme un Haïtien
». Tous les racismes sont insupportables et
sans fondement.
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