Les nouvelles
parues dans « Le Monde » durant l’été
2003
Tout arrive à qui sait attendre
! La nouvelle acquiert peu à peu ses galons. Pour
preuve, l’article paru dans le numéro de juin
2003 de Page, le magazine des libraires. Sous la plume de
Christiane Baroche (membre de la Société des
gens de lettres), le récit court est qualifié
de doux péché. « Longtemps considérée
comme un genre mineur, la nouvelle est un art que l’édition
et le public français semblent aujourd’hui
redécouvrir. Elle figure désormais en bonne
place sur les tables des libraires. Goûtez-y, vous
n’en démordrez plus… ». Christiane
Baroche a cet éloge dont il faudra se souvenir :
« En ces temps de nombrilisme aigu, la nouvelle rouvre
les portes à l’imaginaire et au regard qu’on
porte sur les autres, lesquels ont leur Trafalgar, leurs
drames et leurs réjouissances minuscules qui n’en
sont pas moins captivants pour peu que la qualité
du traitement s’en mêle ! ».
Illustrons ce propos. Cet été, Le Monde a
convié la fine fleur de notre hit-parade littéraire
à une sorte de joute d’écriture. Il
s’agissait de livrer une nouvelle inédite de
15 pages publiée dans le numéro de fin de
semaine. Centenaire oblige, les récits devaient obligatoirement
évoquer l’univers de George Simenon. Cette
contrainte, digne de l’OULIPO des années soixante,
constitua un critère d’évaluation du
style et de l’imagination des uns et des autres.
On recommande aux lycéens de composer leurs dissertations
suivant un ordre croissant d’intérêt
: exposer d’abord l’argument le plus faible
pour finir par le plus convaincant. Fut-ce le choix adopté
par Le Monde ? Inaugurant la série, la nouvelle de
Marie Nimier paraît en effet bien insipide au regard
des suivantes. Dans Un enfant disparaît, la «dame
de cantine» évoque la vie et le caractère
d’une fillette qu’on ne retrouve pas. On a tout
ce qui faut de glauque et de sordide dans les fausses pistes
sur lesquelles l’auteur croit égarer son lecteur.
Heureusement, tout s’arrange ! De la vraie littérature...
de cantine.
Autres lieux, autres talents. Olivier Todd, journaliste
de toutes les batailles et biographe de Camus (1996) et
de Malraux (2001), situe l’histoire de ses Muses de
Mai dans l’œil du cyclone des événements
de 68. Un romancier britannique, incarnation de la gauche
intellectuelle mondiale, est assassiné à la
Sorbonne. L’affaire semble tourner au règlement
de comptes entre services secrets. Maigret ne s’y
laissera pas prendre... Entre gaz lacrymogènes et
barbouzeries de la guerre froide, c’est toute une
époque qu‘Olivier Todd redessine.
Un autre brin de nostalgie avec l’amer Gare de Luxembourg
de Pascale Fonteneau. L’histoire se déroule
dans un quartier de Bruxelles sacrifié sur l’autel
de la construction européenne (au sens propre). Dans
Attentat sous la Coupole, Bertrand Poirot-Delpech nous propose
une variation plus inattendue. Alors que George Simenon
est reçu à l’Académie Française
lors d’une cérémonie à laquelle
assiste Jules Maigret en personne, un rival malheureux et
jaloux, tire sur l’écrivain. Les raisons qui
inciteront Maigret à assumer la responsabilité
de ce geste sacrilège ? Pas si inconcevable, après
tout… La dernière livraison, fin août,
fut celle de Patrick Raynald. Histoire de se replonger dans
les eaux boueuses de la réalité ! Son (vrai-faux)
Maigret enquête sur les dessous noirs de la franc-maçonnerie
niçoise prête à se débarrasser
d’un (vrai) «proc» trop médiatique
et trop déterminé.
L’intérêt de ces récits est de
dévoiler l’univers des nouvellistes davantage
que celui de Simenon, lui-même auteur de nouvelles.
Issus d’une génération qui voulait changer
le cours des choses ou auteurs plus jeunes, tous nous offrent
leur vision d’un monde dont l’humanisme désabusé
de Maigret hante encore les couloirs.
|