Erratum
Sans doute entrainé
par un enthousiasme rectificateur excessif, j’écrivais
dans mon article précédent que l’on pouvait
se passer de l’accent circonflexe sur les “ a ”,
“ i ” et “ u ”.
En vérité, seuls les “ i ”
et “ u ” peuvent désormais fréquenter
nos écrits tête nue alors que les “ a ” resteront couverts.
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De toutes les difficultés que l'on rencontre aujourd’hui
dans l'usage quotidien du français écrit, l'accord
du participe passé est sans doute la plus fréquente.
Les erreurs et les hésitations sont multiples, et ne
portent pas forcément sur les cas d'accord les plus
complexes (formes pronominales, comme “ se voir ”,
“ se donner ”, participe passé
suivi d'un infinitif : “ écouté chanter ”),
mais bien souvent sur les cas les plus “ simples ”.
Ainsi l'on nous demande souvent comment il faut écrire
: “ les décisions que j 'ai pris ”,
en précisant “ je est une femme (ou un homme) ”.
D'autres se souviennent qu'il est question d'un COD mais ne
savent plus trop où le chercher, ni à quoi il
sert. Beaucoup savent que l'accord ne se fait pas toujours
mais ont oublié quand et comment le faire comme cette
personne qui nous écrivait récemment :
“ Ces forêts m’ont conduites vers des
vallées merveilleuses - Dois-je accorder avec
le sujet “ ces forêts ” ou
bien n’y a-t-il pas d’accord avec l’auxiliaire
avoir comme le veut la règle ? ”. Le
flou règne donc dans les esprits lorsqu'apparaît
un participe passé à accorder.
L'objet de cette chronique n'est pas de faire un cours de
grammaire exhaustif sur le participe passé mais plus
simplement de considérer deux aspects : l'un historique,
l'autre pratique.
Pour mémoire, et sans vouloir injurier le savoir du
lecteur, rappelons seulement l'accord le plus commun du participe
passé avec avoir : il n'y a jamais d'accord avec le
sujet, il n'y a d'accord possible qu'avec le COD si celui-ci
est placé avant le participe passé.
Ainsi l’on écrit : elles ont donné
les résultats de l’élection.
Les résultats de l’élection qu’elles
ont donnés.
Comment en est-on arrivé là ?
Il faut remonter au Moyen Age, car l'histoire du participe
passé est assez ancienne. La structure de la langue
était alors assez différente de ce qu'elle est
aujourd'hui et l'on écrivait par exemple “ j'ai
les pommes mangées ”.
Puis, la langue ayant évolué, l'auxiliaire et
le participe passé se sont rapprochés, et l' “ objet ”
a été rejeté soit avant le verbe, soit
après.
A la fin du Moyen Age, les copistes n'avaient aucun mal à
conserver l'accord lorsqu'ils écrivaient l'objet avant
le verbe : “ les pommes que j'ai mangées ”.
Par contre, lorsque cet objet était placé après
le verbe, bien souvent le verbe était écrit
sans accord et lorsque le copiste écrivait l'objet,
il ne corrigeait pas son oubli : “ j'ai mangé
des pommes ”.
Au XVIe siècle, cette erreur était devenue l'usage
si bien que les grammairiens qui fixaient alors les accords
en firent la règle. Or, Ronsard respectait encore la
règle ancienne, accordant déclose avec robe,
le participe avec l’objet, s’opposant ainsi à
la règle nouvelle qui lui aurait fait écrire :
“ Mignonne, allons voir si la rose
qui ce matin avait déclos
sa robe de pourpre au soleil ”
Cependant Ronsard n’était déjà
plus qu’une voix isolée et nous devons donc à
l'erreur des copistes du Moyen-Age de ne plus accorder dans
tous les cas le participe passé “ avoir ”
avec l'objet.
En pratique aujourd'hui, les rectifications de 1990 se sont-elles
attaquées à cette forteresse aux multiples chaussetrappes
? De fait, pas vraiment. Le seul acquis des rectifications
est l'invariabilité de “ laisser ”
lorsqu'il est suivi d'un infinitif. Ainsi lorsque auparavant
l'on écrivait “ ils se sont laissés
vivre ” mais aussi “ ils se sont laissé
tromper ”, on pourra désormais écrire
“ ils se sont laissé vivre ”.
On voit que la rectification est très prudente, et
qu'il faudra continuer à écrire “ les
vaches qu'il a menées paître ” et
“ les moutons qu'il a mené tondre ”,
ou bien “ ils se sont entendus rire ”
et “ ils se sont entendu appeler ”.
Il reste donc des chantiers pour les réformateurs à
venir.
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