« Bach et Rameau pour penser la crise du monde contemporain ».
Gilles BOUDINET est Docteur es Lettres et Sciences Humaines en Sciences de l'éducation, Maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’Université de Paris VIII-Saint-Denis, qualifié aux fonctions de Professeur des universités dans le domaine de l’éducation artistique et musicale. Auteur de nombreux travaux sur l’esthétique et les médiations culturelles, ses derniers ouvrages, situés dans une perspective philosophique, interrogent les valeurs éducatives des arts au regard des mutations de l’époque contemporaine. Il vient de publier « Arts, Culture, Valeurs éducatives chez l’Harmattan.
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La deuxième conférence du cycle 2008/2009, organisée par l’association « Les Amis de la Bibliothèque Albert Cohen», a réuni le samedi 10 janvier 2009, à la Maison Consulaire, un grand nombre d’auditeurs autour d’un sujet original par son intitulé :
« Bach et Rameau pour penser la crise du monde contemporain ».
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Gilles Boudinet a exposé avec conviction et talent son analyse de la crise de civilisation que nous traversons, crise de la Postmodernité. A partir de l’esthétique de l’harmonie chez Rameau et du sublime chez Bach, il a ouvert le débat sous l’angle des valeurs éducatives de l’art. |
Avec Rameau et Leibniz ,
nous nous en remettons à l’harmonie. Prenons les Indes Galantes : les sauvages sont de vrais sauvages qui font peur, car ils sont représentés sur scène avec les stigmates du vrai sauvage, même s’ils portent des moustaches à la turc. L’orage est un véritable orage, mis en scène par une machinerie extraordinaire ; le tonnerre gronde, les éclairs éblouissent les yeux. Mais, à l’image de la philosophie leibnizienne, tout serait réglé par une harmonie, qui fonderait un monde parfait dont nous n’avons pas à nous soucier. Ainsi, chez Rameau, la Timide, l’Indiscrète, la Poule ou Les Sauvages ont-ils tous l’harmonie naturelle en eux. Rameau intitule d’ailleurs son traité « Traité d’harmonie réduite à ses principes naturels ». |
Avec Bach et Kant,
Il s’agit, par le sublime, de sortir de tout système, de se confronter à un inconnu, à un inimaginable.
Prenons les Variations Goldberg : 32 variations divisées en une Aria, 30 variations, et un retour final à l’Aria en conclusion. Toutes les trois variations, il y a un canon, d’abord à l’unisson, puis à la seconde, à la tierce et ainsi de suite. Mais à l’époque de Bach, il est problématique d’oser la septième (21ème variation) puis la neuvième (27ème variation). Comment faire admettre cette audace ? C’est là qu’intervient la notion de sublime. Nous sommes projetés dans le sentiment d’un inconnu radical. Mais, en suivant Kant, nous allons alors résister à cet inconnu en convoquant la faculté de la raison. Il ne agit de rien d’autre que ce qui nous permet de nous mettre en position de surplomb par rapport à nous-mêmes, de gouverner ainsi nos actes et nos pensées. Ici, l’homme ne s’en remet plus « aveuglément » à une harmonie qui lui préexisterait, mais, au contraire, se gouverne par le pouvoir de son propre jugement critique.
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Deux philosophes très emblématiques de la Postmodernité, Jean-François Lyotard et Gilles Deleuze, ont repris cette opposition entre la dualité du sublime et de la raison pour l’un et, pour l’autre, de l’harmonie leibnizienne de la Monadologie, confinant alors à la « nomadologie ».
Aussi ce débat interroge-t-il le statut même que peut avoir la Raison critique, héritée de Kant. Notre époque actuelle, des jeunes « émeutiers » des banlieues, en passant par les « traders » nomades n’est-elle pas celle de la déraison ?
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Gilles Boudinet pense que, dans le cadre des mutations fortes qui affectent la période actuelle, c’est par l’apprentissage de l’esprit critique dans le domaine de l’art, et de la musique en particulier, que nous pourrons , en nous élevant au dessus du chaos, lutter contre une certaine forme de barbarie ; comprendre que l’unité fait partie du tout et organise ce tout. Enfin que cet apprentissage ne permet rien d’autre que la citoyenneté.
Serge Vincent
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