Nous avons publié au début
de l’année un numéro spécial de
Signets comportant l’intégralité des textes
primés lors du Prix Annie Ernaux 2003. Rappelons que
les concurrent devaient traiter le thème des «
transports en commun » et commencer leur nouvelle par
la phrase d’Annie Ernaux, « Il y avait beaucoup
de monde dans le RER vers six heures du soir ». Nous
vous proposons ici une nouvelle qui nous est parvenue hors
délais mais dont l’humour et la finesse méritent
toute notre attention... |
ERREUR |
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Une nouvelle de Chantal
GOSSET (St Leu)
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Info-Sciences
- 7ème chaîne
Bulletin du 17 juil. 413 P. M.
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IL
Y AVAIT BEAUCOUP DE MONDE DANS LE R.E.R. VERS SIX HEURES DU
SOIR.... Cette formule énigmatique qui occupait les
chercheurs du Collège Mondial de Recherche sur les
Civilisations Ante-Météorite ( COMORCAM) vient
peut-être de livrer ses secrets. On se souvient que
ce document, un fragment de «papier» imprimé,
miraculeusement épargné par le Grand Incendie,
avait été mis au jour lors de fouilles aux abords
du grand cratère, maintenant transformé en Mer
Intérieure. Ce matériau, semble-t-il courant
jusqu’au XXIIème siècle, était
fabriqué à partir de débris d’étoffe
naturelle, elle-même confectionnée avec des fibres
végétales (du type «coton », une
espèce aujourd’hui disparue) ou directement avec
du bois broyé et réduit en pâte. Vers
la fin de l’ère pré-météorite,
on pouvait encore se procurer ces composants «dans la
nature» et l’on sait que la Race humaine pratiquait
alors une exploitation totalement imprévoyante de ces
biens naturels que le Grand Incendie a pratiquement réduits
à néant. Outre que la langue employée,
une variante de proto-européen du groupe dit «latino»
(vraisemblablement le français) est très peu
attestée dans le corpus mondial de langues archaïques,
la présence d’un sigle totalement énigmatique
a demandé à nos linguistes de longs mois de
recherche pour décrypter la signification du mystérieux
«R.E.R. ».
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Souvenons-nous
qu’alors le savoir humain et les informations qui l’enrichissaient
chaque jour ne pouvaient être conservés que sur
des supports très encombrants et périssables,
soit sous forme de «livres» formés de feuilles
de papier imprimé d’encre, soit, plus tard, de
cassettes ou de disques diffusés en grand nombre dans
la population. On pouvait aussi stocker l’information
dans le disque dur de volumineux ordinateurs, connectés
entre eux de manière plutôt anarchique et approximative.
En effet, chaque individu était livré à
lui-même dans sa recherche d’information; il devait
pour l’assimiler «lire» les documents fragmentaires
auxquels il avait accès, et son cerveau non assisté
n’en retenait qu’une infime partie. Les connaissances
humaines étaient alors dispersées, incertaines,
sans cesse menacées. En ces temps difficiles de surpopulation
incontrôlée et de misère généralisée,
le genre humain menait à la surface de notre planète
une vie harassante qui consistait principalement à
effectuer des tâches ingrates telles que la fabrication
en série d’objets alors indispensables: éléments
nutritionnels volumineux et périssables, vêtements
peu fonctionnels et non autonettoyants, moyens de transport
physique individuels ou collectifs.
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Le
transport mental n’existait pas et chacun était
amené au cours de sa vie à parcourir physiquement
des millions de kilomètres sur des trajectoires presque
toujours répétitives jusqu’à l’écoeurement.
Il fallait aussi gérer l’organisation des multiples
tâches qui incombaient à tout sujet : éducation
interminable et peu rentable des jeunes, réparation
des organismes atteints d’innombrables maladies, maintien
en survie des corps usés que l’esprit désertait
lentement mais sans recours... La répartition des biens
produits restait d’ailleurs très imparfaite et
seule une infime minorité pouvait en bénéficier.
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Le
Document du Grand Cratère a été découvert
dans les ruines carbonisées et partiellement vitrifiées
de la ville antique de Lyon, Europe, en 384 Post-météorite.
C’était lors de la seconde campagne de fouilles,
après la dissipation des nuées toxiques qui
pendant plus de deux siècles après la collision
ont obscurci l’ensemble de la planète et causé
la disparition de presque toutes les espèces dans le
monde végétal et animal. Le fragment a été
dès sa découverte reconnu comme décisif
pour la compréhension du monde ante-météorite,
qui s’acheva, nous le rappelons, en 2631 de cette ère.
Il est cependant resté longtemps inexploitable faute
d’informations complémentaires concordantes.
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Or,
de nouveaux éléments permettent maintenant avec
un risque minime d’erreur que nous considérons
comme négligeable d’interpréter le précieux
texte. La pratique devenue courante pour nous, Terriens du
Vème siècle, du voyage mental que nous maîtrisons
maintenant parfaitement en nous connectant sur le Diffuseur
Central de Perceptions semble bien avoir eu des prémisses
dans Ces époques lointaines. Le besoin d’évasion
devait être particulièrement intense chez ces
hommes sans cesse agressés par le milieu extérieur,
pour supporter leur existence sur terre sans que leur esprit
soit envahi par le désordre et l’aberration.
Il a donc été logique pour l’homme ante-météorique
de mener, dans la limite de ses connaissances scientifiques
embryonnaires, des recherches visant à développer
un système de libération mentale qui annonçait
le nôtre.
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Parallèlement
à l’étude des textes anciens, les archéologues
ont mis en évidence l’existence de constructions
présentes dans chacun des sites urbains exhumés
des cendres après que malheureusement les habitants
en aient été détruits. On sait en effet
que les seuls survivants de la grande catastrophe planétaire
qu’a été la collision avec la météorite
géante, et des cataclysmes qui s en sont suivis pendant
deux siècles furent les quelque cent cinquante scientifiques
réunis en colloque sur l’île de Grytviken,
au sud du continent américain. Leur situation éloignée
de toute terre et leur aptitude à supporter les conditions
climatiques extrêmes leur ont seules permis de survivre
et de préserver la plupart des connaissances archivées
dans les cerveaux artificiels de l’époque.
Ces hommes et ces femmes sont les ancêtres de notre
actuelle civilisation de l’Harmonie qui a enfin réussi
à créer pour les huit millions de Terriens un
mode de vie basé sur l’égale répartition
des biens matériels et spirituels confiée au
Grand Cerveau Central qui nous protège tous.
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Les
étranges constructions découvertes dans tous
les chantiers de fouilles récents avaient généralement
une forme parallélépipédique. Beaucoup
étaient enfouies dans le sol, parfois plusieurs d’entre
elles se superposaient en une sorte de « complexe ».
Deux étroits couloirs menaient à deux portes
situées aux extrémités, sans aucune autre
ouverture sur l’extérieur. Les traces de peinture
relevées sur les parois indiquent une dominante de
la couleur noire. Une pièce beaucoup plus petite jouxtait
chaque grande salle et communiquait avec elle par une porte
et une étrange ouverture pratiquée près
du plafond. Dans ces petites pièces, on a souvent noté
la présence, encore inexpliquée, de boîtes
métalliques circulaires, d’un diamètre
identique et de faible épaisseur, dans lesquelles se
trouvaient parfois des résidus de matière cellulosique
carbonisée. Des restes de mobilier semblent indiquer
que des foules nombreuses pouvaient se regrouper dans ces
salles entièrement occupées par des sièges,
sans qu’aucun espace libre laisse penser à une
scène de spectacle ou à un lieu de culte comme
nous en connaissons par ailleurs.
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On
pense donc que les hommes des temps anciens avaient inventé
un procédé leur permettant une sorte de méditation
collective qui annonçait les conquêtes de notre
psycho-suggestion sensorielle. La vie était si pénible,
répétons-le, à la fin de l’Ere
Ancienne que les humains devaient éprouver un fort
besoin d’évasion par l’esprit et avaient
sans doute mis au point des techniques rudimentaires que nous
maîtrisons aujourd’hui parfaitement, et auxquelles
nous gardons d’ailleurs le nom ancien de REVA.
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Le
rapprochement de ces données et la confrontation du
sigle mystérieux avec l’ensemble du corpus de
termes connus en proto-européen a donc amené
les chercheurs à la conclusion que les trois lettres
R.E.R représentaient, selon toute vraisemblance, les
mots Régénérateur d’Energie par
le Rêve (mot synonyme en latino de notre « rêva
») et que ce sigle désignait donc les salles
obscures à la fonction jusque-là incompréhensible
que nous avons mentionnées plus haut.
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Ces
déductions restent hypothétiques mais l’équipe
du Professeur Fredu, qui a conduit les travaux les plus récents
annonce une importante communication pour les jours prochains.
Il sera alors possible d’intégrer la totalité
de l’information dans votre cerveau assisté en
vous connectant sur la banque de données du Grand Cerveau
Central, et, en composant le code « MEM 28 937. RER
», de la mémoriser définitivement.
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Chantal GOSSET
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